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LOT 89

PROUST. Poème en prose sur Mme Lemaire. [1894-1896.] Inédit. "Autrefois tristes d'être si peu de temps belles..."

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PROUST, MARCEL

POÈME EN PROSE SUR MADELEINE LEMAIRE ET LES FLEURS : "AUTREFOIS TRISTES D’ÊTRE SI PEU DE TEMPS BELLES..."
[PROBABLEMENT VERS 1894-1896 ?]

4 pages sur 2 feuillets in-8 (218 x 164 mm). Papier vert vergé, filigrané "L.J & Cie". Encre noire. Signé "MP". Plusieurs mots corrigés ou ajoutés entre les lignes, quelques phrases barrées.
Traces de pliure.

Texte inédit inspiré par le talent de Madeleine Lemaire.

Double envoi, à Madeleine Lemaire et à Léon Bailby.

"Autrefois tristes d’être si peu de temps belles, dans les jardins qui si tôt après les avoir vu naître les voyaient mourir, les fleurs se désolaient et dans le cœur de tous leurs calices pleuraient toutes les larmes de la rosée. Un jour levant à peine sa petite tête fine au-dessus de terre, la violette insinua qu’on pourrait peut’être s’entendre avec le bon Dieu. Les pensées y réfléchirent, et s’interrogeaient entre elles en penchant leurs yeux noirs sur le moyen d’y parvenir ; une requête en forme fut proposée. Le dahlia, le faux col de sa corolle ayant la gravité qu’il fallait, fut chargé de la rédiger, le dahlia guindé et raide dans son beau faux col tuyauté [?]. Et on décida de la confier au pissenlit pour la porter au bon Dieu. Au premier bon vent qui soufflerait sa chandelle, la requête monterait, légère, avec la poussière blanche de sa fleur. Et la requête arriva au bon Dieu. Monsieur le bon Dieu, avaient dit les lys, à quoi nous sert notre pureté splendide [changé en : notre robe de pureté est splendide, encore faudrait-il qu'elle fut durable. Que vite elle se voit ternir et souiller. C'est un mauvais exemple]. Nous sommes tristes de mourir si jeunes. En vous donnant un peu de peine est-ce que vous ne pourriez pas nous faire vivre longtemps..."
L’admirateur de Madeleine Lemaire énumère ensuite les arguments avancés devant Dieu par les lys, les pivoines, les hortensias, les roses du Bengale, etc., désireuses de "toujours vivre". De même que les hommes ont leur paradis, le bon Dieu créa "Madame et Mademoiselle [Suzette, la fille] Lemaire dans les mains charmantes de qui les fleurs avant de mourir naissent à une autre vie qui a toutes les grâces de l’autre et qui durera".

Hommage à celle "qui a créé le plus de roses après Dieu" (Dumas Fils).
On connaît un poème en alexandrins qui, comparant Madeleine Lemaire à Dieu, se demande qui immortalisera l’aquarelliste de même qu’elle immortalise les fleurs. Notons la similarité thématique entre les deux textes : le rapport à Dieu et l’immortalisation par l’art, qui sera aussi un grand thème de la Recherche. Les deux textes ont pu être écrits à la même période, soit en 1894 (selon Kolb et Price, voir Contre Sainte-Beuve, p. 366-367 et notes p. 883).
En mai 1903, Proust publiera encore dans Le Figaro une chronique sur le salon de Madeleine Lemaire, "La cour aux lilas et l’atelier aux roses" (idem, p. 457).

Envoi autographe signé à Madeleine Lemaire.
Cette amusante mise en scène, qui fait penser aux Fleurs animées de Granville et Karr, est précédée d’un long envoi à l’aquarelliste :
"À Madame Madeleine Lemaire, À la grâce de ses fleurs, — à la fleur de ses grâces (la seule qu’elle ne pourrait peindre)".
L’aquarelliste Madeleine Lemaire (1845-1928) recevait artistes et écrivains dans son salon où Proust fut reçu dès 1892. C’est chez elle qu’il fera deux rencontres capitales en 1893 : celle de Reynaldo Hahn et de Robert de Montesquiou ; en août 1894, Proust lui rendit visite dans son château de Réveillon en compagnie de Reynaldo Hahn. Elle aimait peindre les roses avec une telle passion que Dumas Fils, qui avait été son amant, put dire que "c’est elle qui a créé le plus de roses après Dieu", tandis que Montesquiou la surnommait "l’impératrice des roses". En 1896, elle illustra les Plaisirs et les Jours, livre dont Anatole France dira dans sa préface qu’il était "tout parfumé des fleurs dont Madeleine Lemaire l’a jonché de cette main divine qui répand les roses avec leur rosée" (Les Plaisirs et les Jours, p. 4). Plus tard, Madeleine Lemaire deviendra le modèle principal de Mme Verdurin : toutes deux étaient appelées "la Patronne" par leurs fidèles, et qualifiaient ceux qu’elles n’aimaient pas de "raseurs".

Second envoi : "à Léon Bailby".
Proust a barré l’envoi à Madeleine Lemaire à la mine de plomb et a ajouté, en grand, le nom de ce second dédicataire.
Homme de presse, Léon Bailby (1867-1954) publia des contributions de Proust, d’abord dans La Presse, qu’il dirige de 1896 à 1906, puis dans L’Intransigeant, entre 1907 à 1932. Depuis un article sur Alphonse Daudet en août 1897 dans La Presse, jusqu’à une réponse à une enquête d’août 1922 dans L’Intransigeant, quelques mois avant sa mort, Proust aura ainsi collaboré une dizaine de fois avec Léon Bailby.

Les textes littéraires inédits de Proust sont rarissimes. Celui-ci a été en partie publié dans le Bulletin d'informations proustiennes (n° 47, p. 150).

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22 Jun 2020
France, Paris
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PROUST, MARCEL

POÈME EN PROSE SUR MADELEINE LEMAIRE ET LES FLEURS : "AUTREFOIS TRISTES D’ÊTRE SI PEU DE TEMPS BELLES..."
[PROBABLEMENT VERS 1894-1896 ?]

4 pages sur 2 feuillets in-8 (218 x 164 mm). Papier vert vergé, filigrané "L.J & Cie". Encre noire. Signé "MP". Plusieurs mots corrigés ou ajoutés entre les lignes, quelques phrases barrées.
Traces de pliure.

Texte inédit inspiré par le talent de Madeleine Lemaire.

Double envoi, à Madeleine Lemaire et à Léon Bailby.

"Autrefois tristes d’être si peu de temps belles, dans les jardins qui si tôt après les avoir vu naître les voyaient mourir, les fleurs se désolaient et dans le cœur de tous leurs calices pleuraient toutes les larmes de la rosée. Un jour levant à peine sa petite tête fine au-dessus de terre, la violette insinua qu’on pourrait peut’être s’entendre avec le bon Dieu. Les pensées y réfléchirent, et s’interrogeaient entre elles en penchant leurs yeux noirs sur le moyen d’y parvenir ; une requête en forme fut proposée. Le dahlia, le faux col de sa corolle ayant la gravité qu’il fallait, fut chargé de la rédiger, le dahlia guindé et raide dans son beau faux col tuyauté [?]. Et on décida de la confier au pissenlit pour la porter au bon Dieu. Au premier bon vent qui soufflerait sa chandelle, la requête monterait, légère, avec la poussière blanche de sa fleur. Et la requête arriva au bon Dieu. Monsieur le bon Dieu, avaient dit les lys, à quoi nous sert notre pureté splendide [changé en : notre robe de pureté est splendide, encore faudrait-il qu'elle fut durable. Que vite elle se voit ternir et souiller. C'est un mauvais exemple]. Nous sommes tristes de mourir si jeunes. En vous donnant un peu de peine est-ce que vous ne pourriez pas nous faire vivre longtemps..."
L’admirateur de Madeleine Lemaire énumère ensuite les arguments avancés devant Dieu par les lys, les pivoines, les hortensias, les roses du Bengale, etc., désireuses de "toujours vivre". De même que les hommes ont leur paradis, le bon Dieu créa "Madame et Mademoiselle [Suzette, la fille] Lemaire dans les mains charmantes de qui les fleurs avant de mourir naissent à une autre vie qui a toutes les grâces de l’autre et qui durera".

Hommage à celle "qui a créé le plus de roses après Dieu" (Dumas Fils).
On connaît un poème en alexandrins qui, comparant Madeleine Lemaire à Dieu, se demande qui immortalisera l’aquarelliste de même qu’elle immortalise les fleurs. Notons la similarité thématique entre les deux textes : le rapport à Dieu et l’immortalisation par l’art, qui sera aussi un grand thème de la Recherche. Les deux textes ont pu être écrits à la même période, soit en 1894 (selon Kolb et Price, voir Contre Sainte-Beuve, p. 366-367 et notes p. 883).
En mai 1903, Proust publiera encore dans Le Figaro une chronique sur le salon de Madeleine Lemaire, "La cour aux lilas et l’atelier aux roses" (idem, p. 457).

Envoi autographe signé à Madeleine Lemaire.
Cette amusante mise en scène, qui fait penser aux Fleurs animées de Granville et Karr, est précédée d’un long envoi à l’aquarelliste :
"À Madame Madeleine Lemaire, À la grâce de ses fleurs, — à la fleur de ses grâces (la seule qu’elle ne pourrait peindre)".
L’aquarelliste Madeleine Lemaire (1845-1928) recevait artistes et écrivains dans son salon où Proust fut reçu dès 1892. C’est chez elle qu’il fera deux rencontres capitales en 1893 : celle de Reynaldo Hahn et de Robert de Montesquiou ; en août 1894, Proust lui rendit visite dans son château de Réveillon en compagnie de Reynaldo Hahn. Elle aimait peindre les roses avec une telle passion que Dumas Fils, qui avait été son amant, put dire que "c’est elle qui a créé le plus de roses après Dieu", tandis que Montesquiou la surnommait "l’impératrice des roses". En 1896, elle illustra les Plaisirs et les Jours, livre dont Anatole France dira dans sa préface qu’il était "tout parfumé des fleurs dont Madeleine Lemaire l’a jonché de cette main divine qui répand les roses avec leur rosée" (Les Plaisirs et les Jours, p. 4). Plus tard, Madeleine Lemaire deviendra le modèle principal de Mme Verdurin : toutes deux étaient appelées "la Patronne" par leurs fidèles, et qualifiaient ceux qu’elles n’aimaient pas de "raseurs".

Second envoi : "à Léon Bailby".
Proust a barré l’envoi à Madeleine Lemaire à la mine de plomb et a ajouté, en grand, le nom de ce second dédicataire.
Homme de presse, Léon Bailby (1867-1954) publia des contributions de Proust, d’abord dans La Presse, qu’il dirige de 1896 à 1906, puis dans L’Intransigeant, entre 1907 à 1932. Depuis un article sur Alphonse Daudet en août 1897 dans La Presse, jusqu’à une réponse à une enquête d’août 1922 dans L’Intransigeant, quelques mois avant sa mort, Proust aura ainsi collaboré une dizaine de fois avec Léon Bailby.

Les textes littéraires inédits de Proust sont rarissimes. Celui-ci a été en partie publié dans le Bulletin d'informations proustiennes (n° 47, p. 150).

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Time, Location
22 Jun 2020
France, Paris
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