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LOT 39

L.A.S. à Louise Colet [20 avril 1853] (4 p.). Lettre de conseils littéraires et d'invectives contre Lamartine, Flaubert, Gustave

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XIXe siècle

Flaubert, Gustave

Lettre autographe signée à Louise Colet.
Nuit de mercredi, 2 heures [20 avril 1853].

4 pages petit in-4 (248 x 190 mm). À l’encre noire, signée "G" ; datée de la main de Louise Colet ; enveloppe avec adresse autographe (marque postale).
Trace de rouille par attache métallique sur l'enveloppe.

RAGEUSE LETTRE DANS LAQUELLE FLAUBERT, EN PLEINE RÉDACTION DE MADAME BOVARY, LUI DONNE DES CONSEILS LITTÉRAIRES ET FUSTIGE LAMARTINE.

Ces conseils portent sur le roman de sa muse, La Paysanne (premier des trois longs récits composant le Poème de la femme, publié en 1853 chez Perrotin).
Flaubert se révolte avec vigueur contre les corrections proposées par le journaliste Eugène Pelletan (qui a sans doute proposé de rendre compte de La Paysanne dans Le Siècle). Il n’hésite pas de son côté à critiquer, parfois sévèrement, Louise Colet, la mettant en garde contre une certaine grandiloquence, notamment dans ses titres : "& puis je commence à m'indigner de tes titres, poème de la femme - ce qui est dans le cœur des femmes - deux femmes célèbres - deux mois d'émotion. Saperlotte tu vaux mieux que ça ! Tu te dégrades par l'enseigne".

"Quand on s'est échigné à faire son œuvre, en conscience, qu'on s'est donné bénévolement d'atroces ennuis à la corriger, se corriger, peser & critiquer et refondre et rechanger etc. s'il fallait obéir ensuite à tous les imbéciles qui vous disent : recommencez autant vaudrait se jeter la tête la première par-dessus le Pont Neuf. […] Ah ! voilà bien mes couillons de l'école de Lamartine ! Tas de canailles sans vergogne ni entrailles. Leur poésie est une bavachure d'eau sucrée sacré nom de Dieu ! J'écume ! Je les crois bien ! quand ils me disent qu'ils n'aiment pas l'antique ni les anciens. Mais ceux qui ont sucé le lait de la louve (j'entends le suc des vieux) ont un autre sang dans la veine et ils considèrent comme des fleurs blanches de l'esprit toutes ces mièvreries pudibondes, où toute naïveté doit périr".

Suit une vigoureuse diatribe contre la bêtise humaine et contre Lamartine.
"Dans quelle fange morale ! dans quel abîme de bêtise l'époque patauge. Il me semble que l'idiotisme de l'humanité arrive à son paroxysme. Le genre humain, comme un teriaki saoul d'opium, hoche la tête en ricanant, et se frappe le ventre, les yeux fixés par terre. - Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu'elle scandalisera comme une monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d'écrire cette préface des idées reçues, & mon Essai sur le génie poétique français. […] Ah charmant mérite de Mr de Lamartine : ‘avoir purifié les mœurs des femmes !’ - D'abord je nie - et ensuite je m'en fouts. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'il n'a pas purifié le langage françoys. Est-il peu shakespearien, rabelaisien, dantesque, & fulgurant, ce bon barde-là ! & je le déclare même sale quand il veut faire de l'amour éthéré. Les déguisements virils de Laurence dans la grotte (dans Jocelyn) - les filets avec quoi on se garotte dans Raphaël - cette chasteté par ordre du médecin ! - tout cela me dégoûte par tous mes instincts. […] Il restera de Lamartine encore moins que de Béranger car Béranger écrit mieux dans sa mesure. Au reste je les livre tous les deux aux libéraux & aux femmes sensibles".

La lettre se termine sur les difficultés que Flaubert rencontre dans son propre travail, alors qu'il écrit Madame Bovary.
"Je passe des journées entières à changer des répétitions de mots, à éviter des assonances ! Et quand j'ai bien travaillé, je suis moins avancé à la fin de la journée qu'au commencement. - Enfin ! Allah est miséricordieux & le temps est un grand maigre [sic]".

En juillet 1846, Flaubert rencontre Louise Colet dans l’atelier du sculpteur Pradier. Elle a dix ans de plus que lui. Le 29 juillet, elle devient sa maîtresse. Leur liaison tumultueuse durera jusqu’en mars 1848, Flaubert refusant de vivre à Paris et restant cloîtré à Croisset. Du 29 octobre 1849 à juin 1851, il voyage en Orient avec son ami Maxime Du Camp sans avoir prévenu Louise de son absence, mais à son retour, leur liaison reprend. Il lui fait part de ses tourments lors de la rédaction de Madame Bovary (comme cette lettre le démontre), il corrige les poèmes qu’elle lui envoie. Louise Colet est toujours malheureuse de la place qu’elle occupe dans la vie de Flaubert qu’elle voit trop peu ; le 6 mars 1855, ils se séparent définitivement, deux ans avant la parution de Madame Bovary qui aura demandé cinq années de travail à Flaubert.
Entre l’été 1846 et avril 1854 (avec une interruption entre avril 1847 et juillet 1851 et une dernière lettre de rupture en mars 1855), Flaubert a adressé 276 lettres à Louise Colet, lettres qui permettent de suivre l'évolution de ses théories esthétiques et critiques.

Provenance : Ancienne collection Lambert.

Référence : Correspondance, II, La Pléiade, Gallimard 1980, p. 309.

Transcription complète :
Puisqu'il te faut une réponse immédiate, chère Muse j'enverrai demain à 6h. mon...

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30 Nov 2021
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XIXe siècle

Flaubert, Gustave

Lettre autographe signée à Louise Colet.
Nuit de mercredi, 2 heures [20 avril 1853].

4 pages petit in-4 (248 x 190 mm). À l’encre noire, signée "G" ; datée de la main de Louise Colet ; enveloppe avec adresse autographe (marque postale).
Trace de rouille par attache métallique sur l'enveloppe.

RAGEUSE LETTRE DANS LAQUELLE FLAUBERT, EN PLEINE RÉDACTION DE MADAME BOVARY, LUI DONNE DES CONSEILS LITTÉRAIRES ET FUSTIGE LAMARTINE.

Ces conseils portent sur le roman de sa muse, La Paysanne (premier des trois longs récits composant le Poème de la femme, publié en 1853 chez Perrotin).
Flaubert se révolte avec vigueur contre les corrections proposées par le journaliste Eugène Pelletan (qui a sans doute proposé de rendre compte de La Paysanne dans Le Siècle). Il n’hésite pas de son côté à critiquer, parfois sévèrement, Louise Colet, la mettant en garde contre une certaine grandiloquence, notamment dans ses titres : "& puis je commence à m'indigner de tes titres, poème de la femme - ce qui est dans le cœur des femmes - deux femmes célèbres - deux mois d'émotion. Saperlotte tu vaux mieux que ça ! Tu te dégrades par l'enseigne".

"Quand on s'est échigné à faire son œuvre, en conscience, qu'on s'est donné bénévolement d'atroces ennuis à la corriger, se corriger, peser & critiquer et refondre et rechanger etc. s'il fallait obéir ensuite à tous les imbéciles qui vous disent : recommencez autant vaudrait se jeter la tête la première par-dessus le Pont Neuf. […] Ah ! voilà bien mes couillons de l'école de Lamartine ! Tas de canailles sans vergogne ni entrailles. Leur poésie est une bavachure d'eau sucrée sacré nom de Dieu ! J'écume ! Je les crois bien ! quand ils me disent qu'ils n'aiment pas l'antique ni les anciens. Mais ceux qui ont sucé le lait de la louve (j'entends le suc des vieux) ont un autre sang dans la veine et ils considèrent comme des fleurs blanches de l'esprit toutes ces mièvreries pudibondes, où toute naïveté doit périr".

Suit une vigoureuse diatribe contre la bêtise humaine et contre Lamartine.
"Dans quelle fange morale ! dans quel abîme de bêtise l'époque patauge. Il me semble que l'idiotisme de l'humanité arrive à son paroxysme. Le genre humain, comme un teriaki saoul d'opium, hoche la tête en ricanant, et se frappe le ventre, les yeux fixés par terre. - Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu'elle scandalisera comme une monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d'écrire cette préface des idées reçues, & mon Essai sur le génie poétique français. […] Ah charmant mérite de Mr de Lamartine : ‘avoir purifié les mœurs des femmes !’ - D'abord je nie - et ensuite je m'en fouts. Ce qu'il y a de sûr c'est qu'il n'a pas purifié le langage françoys. Est-il peu shakespearien, rabelaisien, dantesque, & fulgurant, ce bon barde-là ! & je le déclare même sale quand il veut faire de l'amour éthéré. Les déguisements virils de Laurence dans la grotte (dans Jocelyn) - les filets avec quoi on se garotte dans Raphaël - cette chasteté par ordre du médecin ! - tout cela me dégoûte par tous mes instincts. […] Il restera de Lamartine encore moins que de Béranger car Béranger écrit mieux dans sa mesure. Au reste je les livre tous les deux aux libéraux & aux femmes sensibles".

La lettre se termine sur les difficultés que Flaubert rencontre dans son propre travail, alors qu'il écrit Madame Bovary.
"Je passe des journées entières à changer des répétitions de mots, à éviter des assonances ! Et quand j'ai bien travaillé, je suis moins avancé à la fin de la journée qu'au commencement. - Enfin ! Allah est miséricordieux & le temps est un grand maigre [sic]".

En juillet 1846, Flaubert rencontre Louise Colet dans l’atelier du sculpteur Pradier. Elle a dix ans de plus que lui. Le 29 juillet, elle devient sa maîtresse. Leur liaison tumultueuse durera jusqu’en mars 1848, Flaubert refusant de vivre à Paris et restant cloîtré à Croisset. Du 29 octobre 1849 à juin 1851, il voyage en Orient avec son ami Maxime Du Camp sans avoir prévenu Louise de son absence, mais à son retour, leur liaison reprend. Il lui fait part de ses tourments lors de la rédaction de Madame Bovary (comme cette lettre le démontre), il corrige les poèmes qu’elle lui envoie. Louise Colet est toujours malheureuse de la place qu’elle occupe dans la vie de Flaubert qu’elle voit trop peu ; le 6 mars 1855, ils se séparent définitivement, deux ans avant la parution de Madame Bovary qui aura demandé cinq années de travail à Flaubert.
Entre l’été 1846 et avril 1854 (avec une interruption entre avril 1847 et juillet 1851 et une dernière lettre de rupture en mars 1855), Flaubert a adressé 276 lettres à Louise Colet, lettres qui permettent de suivre l'évolution de ses théories esthétiques et critiques.

Provenance : Ancienne collection Lambert.

Référence : Correspondance, II, La Pléiade, Gallimard 1980, p. 309.

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Puisqu'il te faut une réponse immédiate, chère Muse j'enverrai demain à 6h. mon...

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30 Nov 2021
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